par Coraline Lafon
Voix narratrices, images lumineuses, notes de jazz et questions existentielles : pas de doute, "L'homme irrationnel" est bien un film signé Woody Allen. Et quel film. La situation initiale a des airs de "A Single Man", le film de Tom Ford sorti en 2009. Pour résumer : un professeur quarantenaire au bout du rouleau, un jeune étudiant plein de vie et la rencontre boulversante entre les deux. Au début de "L'Homme Irrationnel", on s'attend donc à un scénario assez cliché et déjà vu, impliquant une relation prof / élève salvatrice. Mais que nenni. Au lieu de ça, Allen nous offre, sur fond de comédie philosophique, un stimulant thriller. Une excellente surprise qui, à l'instar de "Blue Jasmine" sorti en 2013, permet d'oublier les petites romances sympathiques mais rébarbatives que le réalisateur a sorti ces dernières années.
Une fois la charpente de l'histoire posée, Woody Allen s'amuse donc à tout détruire pour nous emmener dans une direction inattendue. L'élément déclencheur n'est pas celui auquel on s'attendait : le professeur blasé retrouve goût à la vie, non pas grâce à l'amour mais bien grâce à l'exaltante perspective de commettre un crime parfait, au nom de la justice. Au fur et à mesure de l'intrigue, on se retrouve donc malgré nous complices, parfois amusés, parfois angoissés, d'un meurtre qui nous paraît presque logique puisque les voix off des protagonistes permettent de suivre le raisonnement depuis le début. Et en plus de poser des questions particulièrement intéressantes sur le hasard, le libre arbitre et la possibilité d'agir, "L'Homme Irrationel" est très bien maîtrisé : chaque détail sert la suite des péripéties, à chaque fois de façon surprenante.
Pour ne rien gâcher, le casting est à la hauteur de l'oeuvre. Après nous avoir bluffé dans "Birdman", Emma Stone, nouvelle muse de Woody Allen, signe sa deuxième collaboration avec le réalisateur. Et ce n'est pas pour nous déplaire : la jeune femme est hypnotisante, particulièrement dans la scène où Abe dévoile son secret à Jill. À ses côtés, un Joaquin Phoenix très convaincant dans le rôle de cet homme irrationnel. Il faut dire qu'après "Two Lovers", "The Master" ou "Her" il est habitué à jouer ce genre de personnage résigné.
Vous l'aurez compris, on ressort de la salle surprit et conquit par la fraîcheur et l'intensité de "L'Homme Irrationnel". À la fois philosophique, sombre et drôle, le dernier long-métrage d'un des réalisateurs les plus prolifiques du monde est à ne surtout pas manquer.
Coraline Lafon