par Karine Baudot
En adaptant le best seller de Tatiana de Rosnay, Elle s’appelait Sarah, Gilles Paquet-Brenner s’éloigne du reste de sa filmographie (plutôt adepte des histoires de flics potaches et de bimbos délurées). Il s’attaque à un sujet délicat, la rafle du Vél’ d’Hiv et ses répercussions sur la vie d’une journaliste des années 2000. L'oeuvre est plutôt une bonne surprise, porté par une mise en scène intelligente et d’excellents interprètes.
Paris, 16 juillet 1942. Sarah, une dizaine d’années, joue tranquillement dans sa chambre avec son petit frère, lorsque surgit la police française qui embarque mère et fille dans le fourgon, direction le Vélodrome d’Hiver, où ils sont parqués au milieu de 13 000 autres Juifs avant de rejoindre les camps d’internement du Loiret. Sarah sera la seule rescapée de la famille. Soixante ans plus tard, Julia Jarmond (Kristin Scott-Thomas), journaliste américaine installée de longue date à Paris, enquête sur cet épisode. Au fur et à mesure de ses recherches, elle découvre, à travers la figure de Sarah, un secret pesant sur sa famille. Ou comment la grande histoire vient irriguer la petite, la questionner, la remettre en cause. Gilles Paquet-Brenner opte donc pour un montage parallèle, un va et vient entre les deux époques qui génère un joli suspense. Pour donner la priorité à un récit plutôt touffu, il choisit, dans la partie contemporaine, une partition sobre et classique qui fait dans l’économie de plans. La partie se déroulant en 1942 était autrement plus compliquée à mettre en scène, puisqu’elle pose, de facto, la question de la représentation – voire de la sur-représentation – de la déportation des Juifs et des camps de la mort. Caméra à l’épaule, utilisant des focales courtes, Gilles Paquet-Brenner ne lâche pas ses personnages. Il n’opte pas pour une reconstitution point par point, préférant suivre de près les comédiens, immerger le spectateur dans ses plans serrés. Les scènes du Vél’ d’Hiv sont tournées au vélodrome Jacques Anquetil de Vincennes, idée chipée avec succès au Monsieur Klein de Losey. Loin de l’obsession pour la représentation du nombre, le cinéaste préfère entrer dans les petits groupes, filmer les bousculades de l’intérieur, évitant ainsi le côté glacé d’une reconstitution extérieure « objective ».
Elle s’appelait Sarah recèle de belles surprises, dans la reconstitution de la rafle, dans le rythme du récit et dans la mise en scène. Le tout porté par une très belle interprétation, celle de Kristin Scott-Thomas en tête, mais aussi celle de Niels Arestrup en paysan bougon résistant malgré lui, celle de Frédéric Pierrot en mari dépassé, ou encore celle d’Aidan Quinn en fils découvrant la vérité sur son histoire familiale.
Certes, on n’évite pas les cris déchirants – un peu forcés – des mères séparées de leurs enfants, les enfants malades maquillés de cernes outrageusement appuyés, certains « passages obligés » agaçants. De même, certains symboles assez lourdingues (Julia enceinte, le prénom de sa petite fille ou encore la toute première scène, à cheval sur le générique, montrant deux jeunes enfants heureux, riant, se chahutant dans un grand lit au milieu des plumes d’oreillers…) viennent par moment plomber le récit. Mais la charpente tient bon, le dispositif fonctionne. Gilles Paquet-Brenner fait d’Elle s’appelait Sarah un bon film populaire, familial, qui sait éviter certains fâcheux écueils comme l’aspect larmoyant. On sent qu’il a travaillé son sujet, sur le fond et la forme, s’interrogeant sur le sens de tel ou tel mouvement de caméra et la limite entre « sobriété et manque de créativité ». On aimerait qu’il poursuive dans cette voie, qu’il l’approfondisse, car il sait se révéler intéressant et prendre à revers l’image que nous a laissé de lui le reste de sa filmographie.
Karine Baudot