sorti le 08/12/2021
Grand Classique de Broadway depuis 1957, West Side Story est une œuvre qui fascine Steven Spielberg, selon ses propres aveux lors de nombreuses interviews, et cette adaptation d’un des plus grands chefs-d’œuvre du genre représente un véritable défi malgré toute son expérience. Ainsi, ce film est bien une nouvelle adaptation riche et incarnée du spectacle créé par Leonard Bernstein et Stephen Sondheim, tous deux de retour pour réarranger la musique.
Un film qui transpire les années 1960, à tous les niveaux. Ce qui saute d’abord aux yeux, ce sont les extraordinaires décors reconstituant ce New York en pleine mutation, à mi-chemin entre l’image d’une époque révolue et les décors d’un studio de cinéma de ces mêmes années. Aussi, les costumes aux couleurs tranchées divisent parfaitement les deux camps qui s’affrontent, Jets et Sharks, en les séparant visuellement dans chacune des scènes de conflits. Tournant en pellicule et en cinémascope, Spielberg obtient une image qui colle parfaitement avec l’époque dépeinte. Enfin, le choix d’acteurs inconnus, à l’exception d’Ansel Elgort dans le rôle-titre de Tony, renforce grandement cette immersion temporelle.
Réécriture de la pièce de Shakespeare, la romance tragique entre ces deux jeunes adultes issus de deux clans opposés qui ne peuvent s’aimer mais qui tombent malgré tout éperdument amoureux, est maîtrisée avec brio, de la scène de rencontre intimiste au sein d’un cadre majestueux, au terme dans les rues évidées et en ruines de West Side. Première apparition de la jeune Rachel Zegler dans le rôle-titre de Maria, sa performance vocale et son allure de princesse Disney légitiment complètement son choix pour incarner Blanche-Neige dans le remake live en cours de production. Tel qu’il le laissait sous-entendre dans Baby Driver (Edgar Wright, 2017), Ansel Elgort démontre cette fois pleinement son amour pour la musique et la danse. Chantant avec douceur face à sa partenaire, l’équilibre de leurs voix fonctionne à merveille, retranscrivant le pur amour unissant Maria et Tony, au cœur d’une histoire animée par l’énergie combative des jeunes hommes des deux clans.
Côté Sharks, Spielberg se détache des précédentes versions en choisissant un casting intégralement latino-américain par souci d’authenticité. Outre l’importance donnée aux portoricains notamment par le biais du couple Anita et Bernardo qui crèvent l’écran par leur charme, Spielberg les fait régulièrement parler espagnol et ne sous-titre volontairement pas leurs dialogues pour montrer la véritable confusion culturelle qui se joue entre américains et portoricains. Côté Jets, Mike Faist campe le chef, Riff, avec une détermination intarissable dans son regard bleuté. Nouvel ajout de cette adaptation, Anybodys, devient un personnage transgenre, modernisant l’histoire mais soulignant surtout d’autant plus la masculinité toxique des Jets qui, dans un grand moment de détresse, débordent quasiment sur un viol.
La réalisation magistrale de Steven Spielberg démontre une nouvelle fois tout son talent et son amour pour le genre et l’œuvre qu’il adapte. Alors que le film classique de 1961 était relativement statique, Spielberg nous régale de mouvements quasi constants et complexes sans pour autant user d’artifices tape à l’œil. Ainsi si le plan-séquence d’ouverture sur le chantier de West Side est volontairement impressionnant, le réalisateur, fidèle à sa patte, dissimule de nombreux autres plans-séquences discrets au cours de simples scènes de dialogues, s’achevant parfois par la fameuse spielberg-face. Cette énergie dans la réalisation sublime non seulement les décors mais aussi les nombreuses scènes de danses, faisant de la caméra un chorégraphe parmi les acteurs. De plus, Janusz Kaminski, fidèle directeur de la photographie du réalisateur, éclaire avec minutie et esthétisme l’ensemble des plans. Que ce soit dans les moments intimes dans lesquels des flairs viennent détourer les visages parfaitement lisibles des personnages pourtant en contre-jour ou dans les scènes plus grandioses d’affrontements dans lesquelles les ombres des personnages s’étirent de plusieurs mètres sur le sol, tout est calculé pour diriger, tromper et attiser notre regard. C’est dans cette réalisation magistrale que réside le véritable intérêt de la réadaptation cinématographique de cette West Side Story.
Gwendal Ollivier