sorti le 02/02/2022
Alors que la construction d’une pensée sur un livre fait bien moins débat qu’une série de tweets cinglants en 280 caractères maximum, l’artiste politisé est en droit de remettre en question son art pour questionner son audience par l’intermédiaire des différents supports et moyens de communication dont il dispose. Écrivain engagé au succès enfin mérité, Karim D. va se trouver piégé par son alias virtuel éponyme, personnage fictif censé représenté le fascisme dans toute sa violence et sa haine sur Twitter.
Laurent Cantet livre une réalisation élégante, des plans se mouvant avec stabilité dans des décors habituellement filmés avec une caméra portée, à l’image du personnage principal qui s’est échappé de sa classe sociale mais continue d’en habiter les quartiers. De nombreux jeux sur les reflets dédoublent fréquemment la tête de Karim pour exprimer la dualité entre l’auteur du livre et celui des tweets, tandis que les superpositions de lumières à travers les vitres et entourant son visage expriment toute sa confusion mentale dès l’instant où les vieux dossiers sont déterrés. La musique très immersive de Chloé Thévenin, à base de synthés tintés de cordes frottées tout en tension et d’ostinatos grimpants à mesure que les couches d’instruments s’additionnent, rappelle le renouveau de la BO américaine initié par Zimmer, voire l’orchestration de Goransson dans ses côtés trip-hop.
Inspiré par l’affaire Medhi Meklat, le réalisateur questionne le rôle des médias dans ce genre de polémique. Outre-Atlantique, James Gunn (réalisateur des deux Guardians of the Galaxy), s’était d’abord fait écarter de la réalisation du dernier volet de sa trilogie en raison de vieux tweets insultants, pour ensuite se faire rengager par Disney, une fois le scandale tassé. Cette notion d’immédiateté semble propre à notre époque, l’avènement des réseaux sociaux et de la communication ayant décuplé l’ampleur et la rapidité des scandales mais aussi leur dépression. Dès le début du film, la phrase d'une autrice « Les écrivains on les préfère toujours morts » résume parfaitement cette opposition entre deux mondes : celui de l’instantanéité des réseaux sur lesquels toute parole semble futile, à celui de la littérature, art institutionnalisé dont les plus grandes œuvres deviennent intemporelles.
Ainsi la maison d'édition se désolidarise immédiatement de Karim par prévention et peur de salir une réputation nécessaire à leur survie dans une société où les gens lisent de moins en moins, tandis que les médias audiovisuels cherchent à tout prix à s’emparer de l’affaire pour questionner uniquement la révélation des faux pas politiquement incorrects d’un homme, sans même chercher à les remettre dans le contexte du média, Twitter, et en oubliant totalement la pensée réelle de l’auteur pourtant développée sur deux romans ainsi que dans une émission régulière. Cette confrontation entre nouveau et ancien monde est subtilement amenée par le réalisateur alors que son personnage, cherchant à se défendre, se rend compte de l’incompréhension d’absolument tout son entourage face à ses intentions initiales. Karim réalise progressivement que le second degré ne va pas de soi à la simple lecture du pseudo Arthur Rambo.
Gwendal Ollivier