sorti le 13/04/2022
Dès son habituel générique "de fin" introductif défilant à contre-sens en occupant toute la largeur de son ratio quasiment carré, Gaspar Noé nous replonge dans son style visuel assurément original. Reprenant son gimmick mis en place dans Enter the Void, les coupes sont marquées par quelques images noires, donnant la sensation de clignements d'œil humain. Énormément travaillé dans son tout récent Lux Æterna, le split-screen occupe ici la place majeure de la narration visuelle du récit ; se dessinant lentement en introduction, la barrière noire centrale sépare inévitablement les deux personnages allongés l'un à côté de l'autre alors que leur réveils décalés brisent la liaison entre eux pour créer deux cadres, deux points de vues, deux vies distinctes.
Des plans séquences parallèles impressionnent surtout par leur synchronicité, en particulier dans les moments de croisement des deux points de vues et de basculement de cadre. Construits et placés dans un même plan, les champs-contrechamps adoptent systématiquement un axe déformant la distance et les directions de regard entre les deux parents mais jamais celles avec leur fils qui se trouve d'ailleurs toujours dans le cadre de sa mère mais passant régulièrement la main dans celui de son père sans subir de déformation due à l’angle de prise de vue.
Incarné par Alex Lutz, le fils est le seul liant qui semble resté entre ses parents, la mère (Françoise Lebrun) sombrant doucement dans la spirale de l’oubli tandis que le père, campé par le brillant réalisateur italien Dario Argento, est animé par son besoin de rester actif mentalement par la réflexion et l’écriture sur le cinéma, ainsi qu’en se noyant dans les livres et revues qui inondent sa maison et l’empêchent de la quitter. Habitué à écrire et mettre en scène de jeunes personnages aimant la drogue et la fête, Gaspar Noé livre pour la première fois un film épuré dans ses dialogues et dans ses lumières, pour nous plonger dans le quotidien morose et ennuyeux, l’errance de ses deux personnages abîmés mentalement et physiquement par l’âge, contraints de prendre plus de pilules que leur fils, ex-addict dont ils se sont toujours occupés et qui doit désormais tenter d’inverser les rôles.
Quasiment absente du métrage la musique intervient seulement à l'ouverture par la mise en scène d'une chanteuse en un très gros plan rétro mais sublime et peu avant la fermeture, par un vieil enregistrement de « L’Homme à l’harmonica » d’Ennio Morricone, évoquant la jeunesse du père italien et prévenant aussi l'approche de sa fin. Fermant un œil après l'autre, le plan de la ville filmée depuis un drone s'élevant dans le ciel avant de basculer à l’envers, métaphorise le passage vers l'au-delà des personnages libérés du tourbillon de l’errance pour enfin se laisser sombrer au cœur du vortex.
Gwendal Ollivier