sorti le 22/06/2022
Après son très bon La Lutte des classes, Michel Leclerc réalise un véritable film musical empli d’un amour sincère. Marcia, jeune musicienne interprétée par Rebecca Marder qui révèle au grand jour ses talents de chanteuse, compose un album avec Daredjane, idole des années 1970 ayant bercé son enfance. Mais la mort de celle-ci l’oblige à se confronter à son neveu et ayant-droit, Anthony qui n’aime pas sa tante et encore moins sa musique. La bande originale de Jérôme Bensoussan et David Gubitsch brille de justesse et colle parfaitement à la reconstitution des différents temps forts de la carrière de Daredjane, les mouvances musicales et la mise en scène des clips (décors, costumes, format du cadre) rendant sa vie palpable.
Alors que le manager de Marcia ne comprend pas l’intérêt d’aller chercher une ancienne idole de la musique pour composer un album, la mort de cette dernière change complètement la donne car la mort booste les ventes dans le monde de la musique. La question de l’argent occupe ainsi une place centrale dans l’œuvre avec néanmoins un traitement plus ou moins discret en fonction des personnages. Pour Marcia, elle est source de problèmes (entre son manager et le propriétaire de son emplacement de péniche) ; elle incarne la figure de l’artiste désintéressée qui tire son bonheur dans la production même de l’art. Au contraire, Anthony est avant tout intéressé par le profit ; il endosse ces rôles posant problème à Marcia mais avec une curiosité qui nuance habilement son personnage. De même, la conscience morale d’un artiste sur son œuvre oppose Marcia à sa femme dont les sculptures cachent honteusement un geste politique contre les sans-abris.
Le réalisateur tient un discours critique contre une partie de la classe favorisée, persuadée de détenir la légitimité du bon goût et pensant réellement qu’en art il faudrait « apprendre » à aimer le « bon ». Pourtant, nous avons tous entendu et même prononcé cette phrase si banale « c’est de la merde » pour parler d’une musique qui nous aurait désagréablement surpris. Ceci sous-entend indéniablement la puissance de cet art, probablement le plus fort de tous. Car si l’écriture, les arts plastiques, la danse et les arts du spectacle peuvent véhiculer des émotions indéniablement très fortes, la musique demeure celle qui nous accompagne dans notre quotidien, dans les moments de joie comme ceux de tristesse, d’angoisse mais aussi d’extase. Elle est de plus, l’art par lequel nous nous construisons principalement à l’adolescence, nous permettant d’affirmer un style vestimentaire et une façon d’être proche des groupes que nous apprécions, tout cela pour nous démarquer de nos pairs.
[SPOILERS]
Le réalisateur capte cette incompréhension fondamentale entre ses deux personnages qui malgré tous leurs efforts pour comprendre l’univers de l’autre, n’ont, à la base, pas les mêmes sensibilités musicales. Au-delà d’une simple différence de milieu qui les opposerait uniquement sur l’éducation et la richesse, il nuance leur relation d’opposition par leur alchimie qui fonctionne à merveille, servie par les interprétations irrésistibles des deux acteurs. Mais Michel Leclerc ne réalise pas une comédie romantique ; ainsi là où les personnages se séparent à la fin du deuxième acte pour mieux se retrouver et conclure l’histoire sur un « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », il fait le choix d’arrêter son histoire sur le point de non-retour. Anthony ne peut s’excuser d’avoir choisi de sortir cette version de l’album car sa sensibilité musicale diffère de celle de Marcia, et elle, réalisant que son heure sous le feu des projecteurs vient de s’achever, ne peut se permettre de continuer d’espérer percer comme son idole d’enfance. Abrupt, le point de mésentente est inéluctable car en art, jamais l’objectivité ne pourra primer sur la subjectivité des goûts et des couleurs.
Gwendal Ollivier