sorti le 16/11/2022
Plongée dans la tête d’une adolescente isolée par le confinement, le nouveau long métrage de Bertrand Bonello joue sur la frontière du fantasmagorique. Dernier opus de ce qui s’apparente désormais à une trilogie de la jeunesse, le réalisateur resserre cette fois son action sur son unique narratrice. Animation en dessins 2D et animation 3D sur des poupées en pleine sitcom, conseils de vie d’une youtubeuse trentenaire aux airs philosophiques, extrait d’une conférence de Deleuze sur l’acte de création et passages dans les limbes filmés en mini DV, tous ces éléments constituent un mélange singulier nécessaire à retranscrire la confusion et la créativité d’une ado enfermée chez elle.
Court métrage tourné en 2020 qui prenait la forme d’une lettre adressée à sa fille sur fond d’images zoomées de Nocturama, le réalisateur décide finalement de prolonger son œuvre pour s’adresser à un plus large public. Conscient de la part plus importante de jeunes au sein de ses spectateurs depuis son Saint-Laurent, Bonello collabore de nouveau avec Louise Labeque, héroïne de son précédent film. De ses regards sur les poupées (doublées par des têtes d’affiches aux voix familières), à la reproduction des expériences de sa youtubeuse fétiche, l’actrice nous ouvre les portes de sa chambre en même temps que celles de son esprit.
Sur le plan politique, le réalisateur est acerbe sur nos normes et nos phénomènes de mode. Au détour d’une dispute de poupées, il cite par exemple des tweets de l’ex président américain. Par le biais d’un jouet, il questionne le libre arbitre et critique la dimension déprimante de l’inexistence de la défaite dans notre monde où l’illusion constante de la victoire mène à terme à la dépression. La question de la fascination étonnante et pourtant grandissante pour les tueurs en série est aussi au cœur de deux séquences. La première évoque le procédé narratif d’Unfriended avec le tueur qui traque un à un la bande d’amis en appel visio, mais la façon de filmer en direct en un seul plan séquence les multiples écrans apporte un côté plus artisanal et donc réaliste. La seconde, purement fantasmée, place un tueur dans la chambre de la narratrice pour un entretien paisible. Ceci questionne définitivement la barrière entre réalité et imaginaire, l’intégralité des séquences et l’existence même de la youtubeuse n’étant peut-être finalement que le fruit de l’imagination de la jeune fille.
Suivant une structure en miroir, le métrage s’achève par une nouvelle lettre, cette fois illustrée par des images de catastrophes naturelles dues au réchauffement climatique. Car malgré les pratiques étranges d’une jeunesse née à l’ère du numérique, la catastrophe écologique est pour la première fois profondément ancrée comme l’inquiétude principale d’une génération. Alors que les études s’accordent unanimement à dire que nous conduisons notre planète à sa perte depuis deux siècles, le réalisateur nuance son discours par un espoir en la nouvelle génération pour sortir les dirigeants du monde de ce coma.
Gwendal Ollivier