Le Deuxième acte


Le Deuxième acte
Réalisateur :
Quentin Dupieux
Pays d'origine :
FR
Titre original :
Le Deuxième acte
Durée :
1h20
Année :
2024
Date de sortie nationale :
15/05/2024
Genre :
CO
Casting :
Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard…
Synopsis :
Film d'ouverture du 77ème Festival de Cannes

Florence veut présenter David, l’homme dont elle est follement amoureuse, à son père Guillaume. Mais David n’est pas attiré par Florence et souhaite s’en débarrasser en la jetant dans les bras de son ami Willy. Les quatre personnages se retrouvent dans un restaurant au milieu de nulle part.
Filtres
Version
Format
image
confort
son
Version
Format
image
confort
son

sorti le 15/05/2024

Film d’ouverture du festival de Cannes, le nouveau métrage de Quentin Dupieux sort seulement quelques mois après le précédent. Dans l’esprit de la bande annonce qui reprend le procédé de mise en scène clé du film sans en emprunter d’image, je vous conseille d’aller le voir si vous appréciez le travail de son auteur ou que vous avez simplement envie de rire franchement, d’un humour jaune frôlant le noir. Désormais vous êtes prévenus, la suite révèle des éléments de l’intrigue qui pourraient gâcher la surprise de la découverte.

Avec son casting cinq étoiles et pluriel, Dupieux pioche des comédiens au jeu radicalement opposé mais représentatif d’un cinéma français auteurisant. Jouant avec leur image publique, le réalisateur écrit les personnages sur mesure pour ses acteurs dans une autoparodie assumée. Souvent commenté, l’accent et la franchise de Raphaël Quenard font de lui le campagnard pas très futé du groupe. Au contraire, Louis Garrel avec ses airs du bourgeois poétique, exagère une parole soutenue et adopte un jeu presque trop théâtral en comparaison des autres. Alors que Vincent Lindon entame un dialogue digne d’un banal vaudeville, l’acteur s’’interrompt lui-même pour revenir à son jeu habituel de personnage révolté contre la société et ses inégalités. En plus des sous-entendus vénaux et de sa pudeur hypocrite, Léa Seydoux (fille de Jérôme Seydoux, producteur français très influent) est déstabilisée par les interventions téléphoniques de sa mère et de sa fille, qui remettent en question à la fois son talent et l’utilité de son métier.

Si Dupieux attaque frontalement les acteurs, leur privilège et leur indifférence, il leur laisse pourtant la possibilité de s’exprimer abondamment. Avec ses nombreuses scènes filmées sans coupure, et ses décors de campagne et du restaurant éponyme, les dialogues conservent le rythme naturel d’une discussion sans montage, alternant sans cesse entre jeu et brisure du quatrième mur. S’attaquant à des thèmes sociétaux sensibles, le film est judicieusement positionné en ouverture de Cannes. Ainsi, Dupieux oppose le discours choc dans la maladresse naturelle de l’attitude de Quenard à celui conventionnel et faussement offensé de Garrel. Du handicap à l’homosexualité, en passant par la transsexualité et le féminisme, le réalisateur nous invite à rire de ces sujets en opposant un discours honnête mais maladroit à un discours d’une tolérance caricaturale. De l’autre côté, Seydoux lutte contre un Lindon en pleine crise existentielle remettant en question l’utilité de l’art et les dérives d’un cinéma contemporain vain.

Alors que les duos se rejoignent au restaurant, les masques se craquèlent. Incarnant déjà l’élément perturbateur de Yannick sorti l’été dernier, Quenard hérite du même rôle de miroir dénonciateur. Mettant Lindon face à sa vieillesse, il révèle sa ringardise et sa peur de tomber dans l’oubli. Draguant gentiment Seydoux, il met en lumière sa superficialité et la rapidité avec laquelle elle s’apprête à crier au viol. Pourtant après une grande première partie hilarante, les dernières séquences plombent le film en ajoutant une couche méta supplémentaire. Inversant les duos, Dupieux réconcilie maladroitement jeunesse et vieillesse en faisant de Lindon et Quenard un couple ; le réalisateur adoptant donc l’attitude prudente de Garrel en début de film, effrayé à l’idée de froisser la sensibilité du public. Retournant ainsi les homophobes en homosexuels, il fait au contraire du tolérant Garrel, un manipulateur égoïste. Son discours sur le réel et la fiction servant à coucher avec Seydoux ressemble malheureusement plus à un « comprendre le cinéma de Dupieux pour les nuls ».

Une fois de plus, le réalisateur dépeint le rôle froid et banquier des producteurs, alliant cette dénonciation à un discours anti intelligence artificielle grossier qui tombe dans un cliché et épuise l’humour jusque-là très efficace. Porté par le gag du figurant stressé, le milieu de métrage est pourtant très bien rythmé par l’humour, bien que la fin d’arc du figurant fasse preuve d’un pessimisme réaliste mais rendu répétitif par la doublure du suicide. Si les plans séquences de campagne offrent une liberté précieuse aux acteurs et sont impressionnants par leur longueur, le plan final est d’un monstratif impertinent, comme si Dupieux cédait à la bêtise de ses personnages en nous montrant qu’il a la plus grosse ligne droite de travelling.

Tourné en seulement 12 jours et écrit et monté en probablement quelques mois, ce nouveau projet est une preuve de plus que le réalisateur enchaine les films sans prendre un temps de réflexion entre chacune de ses étapes de production. Problème fréquent dans sa filmographie, Dupieux semble avoir du mal à conclure ses histoires pourtant très courtes de manière satisfaisante. Faute à des concepts forts souvent épuisables, la longueur pourtant relative de ses métrages leur fait défaut. Pour tous les fous-rires et les pics bien lancé des deux premiers tiers, il est dommage que Dupieux veuille aller toujours plus loin dans le méta au point de gâcher la fin de son deuxième acte.

Benoît Meudec