Emilia Perez

Accueilli avec ferveur sur la croisette, le dernier film de Jacques Audiard était reparti avec la Palme du Jury et celle de l’interprétation féminine pour l’ensemble des quatre actrices. S’essayant au film musical, le réalisateur français livre un métrage ambitieux dans sa mise en scène au service d’une idée singulière. Épuisée par le manque de reconnaissance de ses pairs, une avocate accepte de travailler pour un chef de cartel mexicain en fuite. Sa mission : organiser le simulacre de son décès, sa chirurgie de réattribution sexuelle pour l’aider à vivre la vie dont il a toujours rêvé, le changement d'identité et l'expatriation en Suisse de sa femme et de ses enfants. Tournant le dos à son passé, l’ancien malfrat s’appuie sur sa transition pour inverser ses raisons de vivre et corriger ses erreurs.

Film musical oblige, le son occupe une place primordiale dès les logos d’introduction. Jouant avec la sonorité des mots espagnols et avec les sons des objets, la musique naît naturellement d’un monologue susurré par un personnage ou du chargement des armes d’une escouade. Soutenus par un découpage dynamique, les mouvements de caméra nombreux et maîtrisés magnifient les passages musicaux en épousant l’énergie remarquable de Zoe Saldaña. Incarnant une avocate passionnée, l’actrice brille surtout par sa physicalité lors des scènes de danse et de chant. Face à elle, Karla Sofía Gascón incarne subtilement la complexité d’un personnage divisé entre la violence d’une vie masculine révolue et l’altruisme et la féminité de celle à venir.

Pourtant, si la musique exprime de manière explosive les sentiments des personnages et nous aide à comprendre les choix de Rita (Saldaña), elle ne suffit pas à justifier le revirement soudain du personnage éponyme. Aussi brutal que son changement physique, l’inversion de son idéologie et de sa morale soulève une grande question : comment passe-t-on de chef de cartel à activiste dans la recherche des corps enterrés par ces mêmes cartels ? Hélas, le réalisateur évite la question en passant simplement sous ellipse ce parcours psychologique. Avec sa narration linéaire et sa focalisation sur les points de vue de deux personnages, le film reste en surface de ses thématiques et de ses protagonistes. Malgré des qualités visuelles indéniables et un mixage son sensoriel brillamment immersif, ce manque de profondeur narratif amoindrit les enjeux et l’investissement émotionnel du spectateur pour la vie d’Emilia Pérez.

Gwendal Ollivier