Les années 80, dans le nord de la France. Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c'est l'amour fou. La vie s'efforcera de les séparer mais rien n'y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur…
sorti le 16/10/2024
Acteur incontournable du cinéma français, Gilles Lellouche signe ici son troisième long métrage en tant que réalisateur. Après le succès de la comédie dramatique Le Grand Bain, il se voit confier un budget bien plus conséquent pour un film bien plus ambitieux. Dans les années 1980, Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Malgré des origines sociales et des aspirations opposées, les deux adolescents tombent éperdument amoureux et vivent une passion dévorante. Jackie, récemment orpheline de sa mère et proche de son père, rêve d’émancipation, tandis que Clotaire, perdu dans les difficultés du monde ouvrier, plonge peu à peu dans la délinquance.
Rappelant par bien des aspects le travail esthétique déployé au cours de ses nombreuses réalisations de clips, Lellouche impressionne par sa mise en scène significative dans un perpétuel mouvement. Alignant les plans séquences, le réalisateur s’amuse régulièrement à accrocher sa caméra sur un élément mobile du décor comme une porte de voiture qui s’ouvre puis se referme révélant ainsi une bagarre seulement par des ombres projetées. Avec ses grands angles et ses lumières marquées, Lellouche magnifie les personnages et donne un effet de grandiose à certaines scènes. A contrario, c’est par des plans resserrés en longue focale (lui permettant de jouer habilement avec le flou) qu’il filme une première fois en révélant seulement des parcelles de corps s’entremêlant entre les fleurs.
Par l’utilisation de nombreux outils techniques, la composition de cadre se plie à la note d’intention avec une précision remarquable. Les plans en double focale offrent ainsi la possibilité de créer deux zones de netteté au sein d’un même cadre écrasant en face à face deux personnages éloignés dans la profondeur de champ, cela permettant par exemple de dénoncer visuellement le lien ténu et superficiel entre Jackie et son mari. De même, les superpositions d’images sont un véritable gimmick du métrage. Que ça soit pour adoucir une transition entre deux plans en faisant apparaître le visage d’un protagoniste face à un autre ou pour donner à voir dans un même cadre un personnage et ses pensées, les superpositions d’images retranscrivent les désirs des protagonistes.
N'hésitant pas à isoler une conversation dans une bulle de silence, le réalisateur ne néglige pas le son qui bénéficie d’un mixage puissant en Dolby Atmos. Années 1980 et 1990 oblige, la playlist ancre le métrage dans les époques dépeintes. Magnifiquement utilisé dans une scène de rencontre qui suspend le temps, A Forest de The Cure donne lieu à un numéro de danse tout droit sorti de West Side Story dans son traitement épuré des lumières (noir et blanc teinté de bleu) en contrejour qui subliment les silhouettes des corps des deux ados en train de tomber amoureux. En dehors d’une entrée dramatique avec cuivres graves et cordes tragiques sur la flamme d’une usine en générique, Jon Brion compose une bande originale douce pour caractériser l’amour naissant puis son lointain souvenir.
Malheureusement toute cette maîtrise de la forme est au service d’un scénario convenu et bien trop littéraire dans ses dialogues. Si l’on croit à l’amour d’adolescence de la première heure entre les deux jeunes acteurs Mallory Wanecque et Malik Frikah, cette alchimie ne survit pas au changement d’acteurs. Trop sombres et tristes, Adèle Exarchopoulos et François Civil n’inspirent plus l’amour passionnel de leur version jeune. Loin de diriger de mauvais acteurs, Lellouche les emmène dans une direction coincée entre réalisme et théâtralité. Construit sur des clichés d’écriture notamment dans sa dépiction des classes sociales, le réalisateur ne parvient pas à faire naître une empathie sincère envers les protagonistes, ni de rejet profond envers les antagonistes qui sont à la fois trop manichéens et trop facilement écartés de la route du couple.
Après avoir déclaré fréquemment en interview que le film ferait « au moins 3h », Lellouche sort finalement une version de 2h40 qui souffre encore de longueurs. Entre un début de film qui pioche une scène du climax pour finalement être complètement reniée dans ce même climax et des multiples séquences finales remontées dans tous les sens par le réalisateur, peut-être aurait-il été plus juste de conclure le métrage par la scène de la cabine téléphonique, sur le retour de la musique de The Cure. En plus de laisser le spectateur libre d’interpréter la suite de l’histoire, cela aurait surtout évité de souligner le manque d’alchimie de cet amour pas si ouf.
Gwendal Ollivier