Here - Les plus belles années de notre vie

Bien trop méconnu, le nom de Robert Zemeckis cache l’une des filmographies les plus appréciées d’Hollywood. De Retour vers le futur à Seul au monde en passant par le magnifique Forest Gump, Zemeckis se base sur des concepts forts pour déployer des histoires touchantes. Féru d’innovations technologiques, il est aussi connu pour son travail précurseur sur la motion capture dans les années 2000 avec Le Pôle Express, Beowulf et Le Drôle de Noël de Mr Scrooge ; une technologie ensuite utilisée par des réalisateurs comme Spielberg pour son adaptation de Tintin ou Cameron pour l’univers d’Avatar. Après s’être perdu dans la réalisation d’un remake live de Pinocchio pour Disney+, Zemeckis revient au grand écran avec un film audacieux et maîtrisé.

À travers les âges et les époques, hommes et femmes défilent dans un lieu unique. S’appuyant sur une famille habitant cette maison sur deux générations, le fil rouge se déploie en multipliant les aller-retours dans le temps, dressant des parallèles très poétiques sur la création, la vie, la mort, les moments de joie, les disputes et le poids du temps sur les choses et sur les individus. De nouveau réunis devant la caméra de Zemeckis, Tom Hanks et Robin Wright incarnent avec justesse le couple principal. Criard quand les personnages sont trop proches de la caméra, le rajeunissement numérique (de-aging) fonctionne assez bien sur eux mais fonctionne encore mieux pour les parents interprétés par Paul Bettany et Kelly Reilly.

Basé sur un défi conceptuel de mise en scène, l’intégralité du métrage est couverte par un unique plan fixe. Entremêlant les époques par le découpage de tableaux au sein du cadre, le réalisateur travaille ses transitions avec minutie pour construire l’espace mental de ce champ de vision restreint dans lequel seule la maison historique d’en face semble ancrée à jamais. Tandis que des retours bien avant la construction de la maison permettent de varier entre intérieur et extérieur, Zemeckis s’amuse à superposer deux époques, en conservant lors de plusieurs séquences une télé d’un autre temps dans le cadre pour apporter un son anachronique qui contraste avec une scène du passé ou du futur.

Par un travail d’orfèvre sur les accessoires, les costumes et les éléments de décor, chaque époque est immédiatement reconnaissable. Modelée aussi par les lumières, l’image semble parfois s’animer, faisant oublier avec brio la contrainte du plan fixe pourtant rigoureusement respectée. Fidèle au réalisateur, Alan Silvestri compose une bande originale orchestrale très lyrique, portée par un thème principal puissant. Dépassant largement le simple défi technique, Robert Zemeckis livre un film émouvant, en résonnance directe avec notre propre « ici ».

Gwendal Ollivier