Un parfait inconnu

Après s'être perdu chez Disney avec la réalisation du dernier Indiana Jones, James Mangold retourne à un cinéma qui lui ressemble. Une mise en scène classique mais très élégante avec une belle image granuleuse, un personnage clope au bec, une figure de la musique folk américaine, mais cette fois au début de sa carrière. New York, début des années 1960. Au cœur de l'effervescente scène musicale et culturelle de l'époque, un énigmatique jeune homme de 19 ans arrive dans le West Village depuis son Minnesota natal, avec sa guitare et un talent hors normes qui changeront à jamais le cours de la musique américaine.

Ne cherchant pas à raconter la vie complète de l'artiste dans une forme de rise and fall très en vogue ces dernières années, Mangold sélectionne une tranche de vie, cinq petites années qui en disent long sur Bob Dylan et son rapport à l'art mais aussi sur les États-Unis. Baigné dans le climat de la Guerre froide et ses moments traumatiques (crise de Cuba, mort de Kennedy), le monde de la musique entame un renouveau, celui qui verra naître le rock. Poussé par l’un des pionniers de la musique folk, Pete Seeger, ainsi que par Joan Baez (Monica Barbaro), le jeune chanteur est dépeint avec une distance mystérieuse frôlant avec l’arrogance par le réalisateur.

L’admiration pour la star est subtilement nuancée par le regard affecté de certains de ses proches notamment Sylvie Russo interprétée par Elle Fanning qui fait son retour sur grand écran après 4 ans d’absence. De même, Pete Seeger, très bien campé par Edward Norton, se retrouve dans l'ombre de ses pairs, luttant pour un style vieillissant qu'il continue d'aimer de tout son cœur. Après Joaquin Phoenix dans Walk the Line, c’est au tour de Boyd Holbrook d’interpréter Johnny Cash sous la direction d’un James Mangold profondément admiratif pour cette star. Secondaire à l’action, Cash est cette fois présenté comme un soutien, une sorte de grand frère pour Bob Dylan qu’il invite à briller.

Incarné par un Timothée Chalamet méconnaissable, l'acteur livre des performances scéniques impressionnantes. Assurant lui-même chant et guitare, le réalisateur se plaît à le filmer sans couper pour capter toute la nonchalance de Dylan. Rythmé par la musique, le métrage enchaîne les moments musicaux sans jamais tomber dans un effet playlist. Face au public attentif des bars, à celui excité des festivals, ou à l’intimité des chambres à coucher, l’artiste renvoie toujours cette même image énigmatique, celle d’un parfait inconnu.

Gwendal Ollivier