Alors que Cécile s’apprête à réaliser son rêve, ouvrir son propre restaurant gastronomique, elle doit rentrer dans le village de son enfance à la suite de l'infarctus de son père. Loin de l'agitation parisienne, elle recroise son amour de jeunesse. Ses souvenirs ressurgissent et ses certitudes vacillent…
sorti le 14/05/2025
Adaptation de son court métrage éponyme, ce premier long métrage d’Amélie Bonnin la projette dans le cercle rare des réalisateurs ayant fait l’ouverture du Festival de Cannes avec leur premier film. Cécile, enceinte, s'est fait connaître comme cheffe cuisinier en participant à l'émission de télévision Top Chef, et prépare, avec son compagnon et second en cuisine, l'ouverture d'un restaurant gastronomique. Mais à la suite de l’infarctus de son père, elle se voit contrainte de quitter Paris et de retourner temporairement dans son village d'enfance, au restaurant routier tenu par ses parents. Durant son séjour, elle croise Raphaël, son pote de collège et amour de jeunesse.
Renversant les rôles des acteurs par rapport à leur personnage du court métrage, la réalisatrice montre que son idée derrière ce film était de dresser le portrait d’un amour de jeunesse manqué entre un artiste (écrivain ou cheffe cuisinier) et quelqu’un d’ordinaire (caissière ou garagiste), le tout à travers un film musical naturaliste puisant dans le répertoire de la chanson française. Ainsi, les acteurs chantent sur le plateau de tournage sans passer par un doublage en post-production à l’hollywoodienne. Si cela permet de renforcer l’émotion de l’instant et de créer une continuité entre le jeu des acteurs et le passage à la chanson, ce choix souligne la zone toujours étrange des films musicaux entre réalité et fantasme.
Dès la première scène, l’introduction progressive du chant par les paroles dialoguées d’Alors on danse de Stromae dissone rapidement avec la suite chantée puis dansée par les personnages accompagnés d’une instrumentation imaginaire. Ce décalage entre réalité diégétique et fantasme des personnages se retrouve dans toutes les chansons illustrant le quotidien, souvent introduites par ce procédé. De la rencontre entre les deux vieux amis à l’étang au père chantonnant difficilement dans sa cuisine, ces moments de quotidiens n’ajoutent rien par le chant que de bons dialogues n’auraient suffi à faire ressentir ; à l’exception de Sensualité d’Axelle Red, interprétée par Juliette Armanet dans une scène de préparation de cuisine nocturne très juste.
Toutefois, le point fort musical du film se situe dans les chansons qui évoquent les souvenirs. Pour que tu m'aimes encore, écrite par Jean-Jacques Goldman, transpire le réel car elle est chantée par trois potes bourrés revivant un souvenir embarrassant pour l’un d’eux. À son complet opposé, Femme Like U de K. Maro transcende le réel pour projeter les personnages dans un souvenir à deux visions, par une mise en scène qui se lâche enfin dans les mouvements de caméra et dans la gestion de la lumière pour profiter pleinement du décor et de la chorégraphie induite par le lieu.
Amélie Bonnin livre donc un premier film parfois maladroit dans sa forme, mais nourri par l’envie de raconter une histoire classique autrement. Aidée par une Juliette Armanet magnétique et un Bastien Bouillon terriblement attachant, le casting (issu du court original) porte véritablement le métrage. Jouant sur l’ambiguïté des relations, l’écriture esquisse trois couples en crise pour différentes raisons sans jamais tomber dans le pathos ni le cliché. Positif sans déborder de bons sentiments, ce premier film est une belle invitation à partir un jour.
Gwendal Ollivier