Au sommet de sa carrière d’acteur, Serge Tanneur a quitté une fois pour toutes le monde du spectacle. Trop de colère, trop de lassitude. La fatigue d’un métier où tout le monde trahit tout le monde. Désormais, Serge vit en ermite dans une maison délabrée sur l’Île de Ré… Trois ans plus tard, Gauthier Valence, un acteur de télévision adulé des foules, abonné aux rôles de héros au grand cœur, débarque sur l’île. Il vient retrouver Serge pour lui proposer de jouer «Le Misanthrope» de Molière. Serge n’est-il pas devenu une pure incarnation du personnage d’Alceste ? Serge refuse tout net et confirme qu’il ne reviendra jamais sur scène. Pourtant, quelque chose en lui ne demande qu’à céder. Il propose à Gauthier de répéter la grande scène 1 de l’Acte 1, entre Philinte et Alceste. Au bout de cinq jours de répétition, il saura s’il a envie de le faire ou non. Les répétitions commencent : les deux acteurs se mesurent et se défient tour à tour, partagés entre le plaisir de jouer ensemble et l’envie brutale d’en découdre. La bienveillance de Gauthier est souvent mise à l’épreuve par le ressentiment de Serge. Autour d’eux, il y a le microcosme de l’Île de Ré, figée dans la morte saison : un agent immobilier, la patronne de l’hôtel local, une italienne divorcée venue vendre une maison. Et l’on peut se prendre à croire que Serge va réellement remonter sur les planches…
par Coraline Lafon
« J’étais sur l’île de Ré avec Fabrice et nous faisions du vélo - parce que quand on va sur l’île de Ré, il faut faire du vélo ! - quand soudain il s’est mit à pleuvoir. Nous sommes donc rentrés à la maison et, arrivés chez moi, Fabrice à commencer à réciter en entier l’Acte I du « Misanthrope » de Molière. C’est de là qu’est née l’idée du film. » Belle introduction du metteur en scène Philippe Le Guay, juste avant la toute première projection publique de son film. Cette oeuvre s’est avérée, en plus d’être drôle, touchante et atypique : un bien bel hommage à la langue française.
Ce fut évidemment une grande chance de pouvoir, après la diffusion, échanger avec Fabrice Luchini (l’acteur principal) et le réalisateur : cela a permis de clarifier certains passages du film - comme cette fin prolongée qui permet de maintenir l’espoir - ou de mieux comprendre certains personnages - telle cette italienne qui représente Célimène de manière un peu personnalisée – etc. En tout cas l’ensemble est limpide et Philippe le Guay a réussi, avec ce dixième long métrage, un pari risqué : celui de réaliser une comédie dans laquelle se cache délicieusement des passages d’un des plus grands classiques de la littérature française.
Les scènes de répétitions entre Fabrice Luchini et Lambert Wilson sont savoureuses : on sent leur passion commune, leur irritation aussi, la complicité qui naît fébrilement et qui s’évanouit à cause d’un vers mal récité. Ces scènes donnent envie de se replonger soi-même dans les pages du « misanthrope » et rien que pour ça, ce film vaut le détour ! Petit bonus pour les paysages de l’île de Ré, pluvieux mais apaisants, que reconnaîtront sans doute tous ceux qui sont déjà passés par là.
Coraline Lafon