par Coraline Lafon
Après avoir raflé deux prix au festival de Berlin dont celui du public, deux autres au festival de Tribeca et neuf statuettes aux Ensor (équivalent flamand des Césars), « Alabama Monroe », sorti en France le 28 août dernier, est déjà en course pour représenter la Belgique dans la catégorie « meilleur film étranger » à la prochaine cérémonie des Oscars. Rien que ça. À croire que le nouveau bébé de Felix Van Groeningen a su toucher les coeurs et les esprits. Et pour cause…
En 2008, Johan Heldenbergh et Mieke Dobbels écrivent et mettent en scène une pièce de théâtre intitulée « The Broken Circle Breakdown Featuring the Cover-Ups of Alabama ». Sur les planches, on peut voir cinq personnes : un type qui fait du banjo, une chanteuse et trois musiciens. Entre chaque morceau, des parcelles de vie, plus ou moins tragiques, racontées par les acteurs. Une idée simple, mais visiblement efficace puisque Felix Van Groeningen, séduit par la représentation, décide d’en faire un film. Cinq ans plus tard, nous découvrons « Alabama Monroe » dans nos salles obscures.
La musique, sur scène comme à l’écran, est un élément phare de l’histoire. Dans le film, chaque moment fort, chaque étape, tragique ou comique, est accompagnée d’un morceau : les scènes avec « The lion sleeps tonight » et « Go to sleep little baby » sont particulièrement poignantes, chacune dans leur genre. Mais, globalement, l’intégralité de la bande originale est à l’oreille ce qu’un chocolat chaud en plein hiver est à l’organisme : un mélange de douceur et de chaleur ! Dans la pièce qu’il a lui même co-écrite, Johan Heldenbergh interprétait déjà le rôle de Didier et avait appris à jouer du banjo et de la mandoline pour l’occasion. Le réalisateur, qui avait déjà travaillé avec lui sur le tournage de « la merditude des choses » notamment, n’a pas hésité longtemps avant de lui ré-attribué le rôle du « cowboy » ! Les deux acteurs principaux interprètent eux-mêmes les chansons composées par Bjorn Eriksson et le groupe que l’on découvre dans le film, « The Broken Circle Breakdown Bluegrass Band », joue a guichet fermé en Belgique depuis la sortie d’ « Alabama Monroe ».
En plus de nous faire profiter de leurs aptitudes musicales, Veerle Baetens, Johan Heldenberg et les autres nous étonnent pendant presque 2 heures, de leurs talents d’acteurs. Le jeu est très juste et amène aux personnages une réelle profondeur : le conflit, parfois touchant, parfois embarrassant, entre l’hyper rationalité de Didier et la naïveté d’Elise nous pousse à la réflexion et rend l’histoire tristement cohérente. Les tatouages d’Elise, qui semblaient anecdotiques dans la pièce, prennent une dimension particulière dans cette oeuvre : ils sont révélateurs de l’état d’esprit de la jeune femme et sont, accessoirement, absolument magnifiques ! C’est Emy La Perla, tatoueuse belge, qui s’est chargée de dessiner tous ces symboles sur la peau de Veerle Baetens car, même s’il est vrai que cela lui va particulièrement bien, tous ces tatouages sont bien évidemment des faux.
Mais, avant même d’être un film musical ou d’être un film doté d’un casting de qualité, « Alabama Monroe » est un film qui provoque de l’émotion (beaucoup d’émotion) en entremêlant avec beaucoup de justesse le drame et la poésie. On peut éventuellement faire une référence ici à « La guerre est déclarée » de Valérie Donzzellli sorti en 2011, puisque le thème abordé est comparable. Dans « Alabama Monroe » la façon dont le film est monté, qui peut surprendre, permet d’entrecouper des scènes d’énergie, de joie, d’espoir, de tendresse, avec des scènes de drame, de violence ou de rage. Ces passages d’un état à l’autre, très subtilement amenés, permettent de contourner les gros clichés des films dramatiques et de rester en permanence au coeur de l’histoire, sans jamais s’ennuyer.
Coraline Lafon